Association pour la Sauvegarde d'Ussy

A l’écoute de Josette HAYDEN

A l’écoute de Josette HAYDEN (née Juliette Géraud) veuve du peintre HENRI HAYDEN (1883-1970)

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Propos recueillis par Paule Savane, Présidente A.S.U., Marthe Ridart et Yvonne Ampen,

membres de l’Association pour la Sauvegarde de Ussy

 Le 11 Octobre 1997  à REUIL en BRIE

 

 « Quand j’étais enfant, je venais à Mareuil sur Ourcq, chez une amie de pension, puis ce fut le mariage avec Henri Hayden.

Je suis revenue à Mareuil, chez les amis, et puis nous fûmes « en panne » un été.

 BECKETT avait déjà sa maison à Ussy (1) ; nous avons loué d’une chambre à l’hôtel des Pêcheurs (1954). Hayden a aimé la région et chaque année, on louait quelque chose. Ainsi 2 ou 3 ans, à Fay le Bac, maison en location de Mme François. On allait alors chercher le journal à Sammeron par le bord de Marne. Puis ce fut à Changis, puis au Limon (3 ans).

Beckett, lui, était déjà sur place. Il avait été en location rue de la Dehors, et avait acheté un terrain en 1950 et fait construire, et continuait à venir seul, et il y venait travailler.

 Après 3 ans de location au Limon, nous eûmes des difficultés à louer, ce qui agaçait Hayden, qui chercha à acheter quelque chose. Beckett a conseillé un notaire, lequel a fait visiter ici (Reuil) et à Changis. On a acheté ici. Beckett et Hayden se sont décidés en 10 mn, ce fut un « achat d’hommes » (1962) car je fus effarée d’être à la tête d’une si grande maison. Beckett disait à Hayden « réfléchis », mais Hayden aurait tout aussi bien acheté sans visiter.

On y a beaucoup vécu.

Nous avions visité aussi à Mary Sur Marne (souvenir de canotage avec mon amie de pension) Mais il n’a pas voulu, il préférait la région de La Ferté sous Jouarre.

 Il a très peu travaillé vers Crouttes et la Champagne. Il retournait toujours travailler à Ussy. En voiture, il partait vers Ussy, Molien…..

 Il a dû exécuter 15 ou 20 toiles maximum en direct. A la fin, il ne faisait plus de toiles en direct, mais à l’atelier. D’après des croquis gouache, il travaillait à l’atelier.

 La toile des « musiciens » : il y avait un cousin de Beckett qui jouait du piano et du violon ; nous allions chez eux faire de la musique et Hayden faisait de petits croquis au crayon ( catalogue de Cherbourg) Hayden a demandé à Beckett de faire le texte du catalogue de Cherbourg, commandé par l’amateur de Cherbourg. La collection alla à des neveux (Josette a racheté cette collection par l’entremise de Pierre Célice)(2)

 Le « Bistrot d’Ussy » 1956 : acheté à Londres ; puis prêté pour l’exposition de Cherbourg. Mais Hayden l’a fait à l’atelier de Paris, d’après les croquis (1954) c’est une assez grande toile (50) mais il a fait d’autres toiles plus petites sans personnages du bistrot.

 Il avait un atelier ici, à Reuil, mais il n’existe plus. Un ami qui a voulu retrouver les paysages a été étonné de revoir les paysages naturels si bien transformés par Hayden. Un autre ami, frappé par les paysages de Hayden, ne regardait plus les naturels qu’au travers d’Hayden.

 Beckett venait nous voir à bicyclette.

Et avec lui à Reuil, on allait se promener, avec sa 2CV dans les patelins aux alentours. Un très bel été, Hayden avait vu les collines de Crouttes qu’il a ensuite cherché longtemps sans les retrouver.

 Quand je viens, je reste 10 jours, même en hiver.

 La toile « Paysage d’Ussy » (1960) a été faite sur place. Plusieurs, même. Je l’ai gardée longtemps.

Vers la fin de sa vie, il y eut une grande discussion avec Beckett, à propos du titre de « Monts Moyens »…  « Monts Moyens, Monts Moyens.. ; vous pourriez changer »

Hayden demande à Beckett de chercher, pour changer un peu.

 Les Irlandais, Dieu sait s’ils sont buveurs. Avec eux, je me suis mise au whisky.

 BACHELARD a fait un énorme travail sur Hayden. Pierre CELICE m’a aidée pour les authentifications. Il repère les toiles fausses. La solution eût été de faire un inventaire de son vivant. Mais quel peintre le fait ? Hayden n’a jamais tenu la comptabilité de ses œuvres, et des acheteurs. Les Galeries, elles, par contre, le savent..

 Beckett aimait énormément ce pays ici. Lorsqu’il voyait les peintures de Hayden de Bretagne, il se souvenait des murets d’Irlande….

Quand on venait, Beckett nous envoyait chercher des choses chez lui à Ussy. La vieille dame avait les clés et nous ouvrait la porte.

A Paris, nous habitions au carrefour vers Raspail (photo d’Hayden dans son atelier parisien) Il est mort peu de temps après le nouvel atelier.

 C’est une dentiste de Paris près de chez Beckett, qui lui a indiqué Ussy comme village car elle avait elle même une maison au Limon : voilà pourquoi Beckett est venu à Ussy.

 Nous avions rencontré Beckett pendant la guerre, quand nous étions en fuite. On ne pouvait rester sur la côte. On a dû quitter Mougins ;  Il y avait dans cet hôtel Samuel Beckett…Après la Libération à Paris, on a continué à se voir… depuis 1943.

Nous sommes partis en exode en Auvergne, chez des amis qui …. (Josette raconte les pérégrinations pendant la guerre, la rencontre avec les DELAUNAY, les rafles..)

 Beckett avait demandé pour faire un cadeau à la vieille dame, qui tenait les clés (3). Il était revenu spécialement pour son enterrement à Ussy. Il y avait des torrents d’eau, et il n’avait pas de parapluie. Un Ussois l’a raccompagné.

 Par Beckett nous connaissions tous les noms d’Ussy. Nous avons fait beaucoup de promenades à pied autour d’Ussy, car on partait trois mois tous les étés de Paris. Quand on louait au Limon on avait déjà une voiture. Avant, c’était Beckett qui venait nous chercher à la gare.

 Il n’y a pas de personnages dans les paysages d’Hayden.

Dans les toiles de Bretagne il y a des petits personnages. Celles du Lot, également, dans un bois notamment, car les paysages étaient alors plus réalistes.

Mais ici, dans la région, jamais de personnages.. dans les toiles du Midi, non plus (Mougins)

Pourquoi ? il n’en parlait pas.. il n’y a pas de raison spéciale. Les artistes ne parlent pas de leurs toiles, en fait..

 Hayden n’était pas spécialement intéressé par l’histoire. Il adorait les romans policiers, cela le détendait.

 A propos du Livre écrit par l’Anglais sur Beckett (4) :

L’Anglais va avec Nicole dans la maison de Beckett pour écrire son livre ; il y trouva des romans policiers série noire : Hayden avait des romans et les passait à Beckett. Cet Anglais a travaillé des années. Il voulait m’envoyer un exemplaire en français, mais l’éditeur français (Acte Sud) n’a pas voulu s’en occuper. Il a été voir des tas de gens qui n’avaient pas tant d’intérêt pour Beckett. Le neveu de Beckett (Edouard) s’est donné beaucoup de mal. »

FIN DE L’INTERVIEW

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 Notes (A.S.U. 2020)

Josette Hayden (Juliette Géraud) née en 1913 est décédée le 18 mars 2003.

(1) Samuel Beckett avait séjourné en location à Ussy dès 1950 puis fait  construire sa petite maison   à Molien en 1953

(2) Pierre Célice (1932-2019) artiste peintre, rencontre Henri Hayden en 1952- 1953 quartier Montparnasse à Paris,  et le considère comme son maître premier ; par la suite il habite au hameau de Avernes – (1965) avant de retourner à Paris. (1982)

Ussy comprend trois hameaux : Molien, Avernes, et Beauval.

(3) il s’agit de « Madame Alphonsine » ou « Mémère Alphonsine » grand mère de Jean Greub. Elle habitait Molien et avait à ce moment là  les clés de la maison de Samuel Beckett ; d’après le témoignage de Jacques Delaitre,  (2020)  « cette « vieille dame » aurait inspiré Samuel Beckett pour un personnage de sa pièce « En attendant Godot »  Effectivement le jour de son enterrement,  (en 1980 ou 1982) le ru de Courtablon débordait au niveau du petit pont, avant le cimetière,  tant il avait plu, si bien que le cercueil n’avait pu atteindre le cimetière qu’en  faisant le « tour »  – c’est à dire en passant par la route Ussy-Lizy et le carrefour de Molien avant de redescendre vers le cimetière-

(4) il s’agit de James Knowlson, qui a rédigé une biographie de Samuel Beckett publiée en 1996 en anglais avec pour titre « Damned to Fame »

Traduction en français en 1999 – (Actes Sud)

Josette et Henri Hayden, à Reuil devant leur maison photographiés par Beckett. Photo extraite du livre de Christian de Bartillat, LES DEUX AMIS

Avec toi sans toi

Un film de Francesca Ragusa

France | 2011 | 52 minutes | HDV
Le film relate la vie tumultueuse de Josette Géraud Hayden, jeune épouse du peintre Henri Hayden, et proche de Samuel Beckett. Une brillante conversation filmée avant sa mort. Ses carnets intimes et sa peinture dessinent le portrait d’une femme moderne et affranchie qui a pourtant vécu tiraillée entre son indépendance, son travail de peintre et le dévouement amoureux, à l’ombre de deux grands artistes, hommes de sa vie. À leur disparition, Josette, personnage à bien des égards beckettien, dérive dans la dépression et l’alcoolisme avant d’atteindre une vieillesse digne et apaisée…..
Extrait du film cliquez ici

Mémoire, images d’archives….

En 2011, lors du Mois du film documentaire à Issoudun, était présenté  « Avec toi, sans toi » de Francesca Ragusa, film sur la vie tumultueuse de Josette Géraud, la jeune femme du peintre Henri Hayden. Lire la suite…